- John the revelator a écrit:
- Au sujet des White stripes, j'hésite entre le suicide à la Franky et le développement d'un contre-point scientifique. La réponse, ce soir... Histoire de mouiller tout le monde, rappelons que Béro est fan du titre "Blue Orchid"
Vas-y, contre-pointe moi ça :
Les White Stripes atteignent donc la date fatidique des dix ans de
carrière avec cet Icky Thump. Ces dernières années auront vu Jack White
mis en avant comme la figure majeure du rock actuel, sa capacité à
aligner trois albums en autant d’année sans sembler s’essouffler
relançant l’intérêt dont il fait l’objet depuis quelques temps déjà. En
2006, c’était donc avec les Raconteurs qu’il créait l’évènement,
abandonnant les compositions foisonnantes de son premier groupe pour des
structures plus classiques, de simples chansons construites autour
d’une idée et remportant l’adhésion du public en respectant les règles
de la pop qu’on le connaissait habitué à remâcher bien plus âprement. Sa
comparse Meg un peu écartée dans ces histoires, il revient pourtant
l’année suivante en sa compagnie pour un nouvel album des White Stripes,
le sixième et le meilleur.
Voilà pour le paragraphe
d’introduction, mais cette chronique trop bateau commence à me barber,
et de toutes façons je n’ai jamais aimé les White Stripes. Alors avant
d’en revenir à Jack, je vais vous parler de Quentin Tarantino et
d’Umberto Eco. Depuis quelques décennies, bien des aspects de notre
cultures en général, et des arts populaires en particulier, sont entré
dans ce que l’on nome post-modernisme. C’est l’age de la citation, de la
reprise et du détournement, celui où l’on fait du neuf avec du vieux,
parce qu’on ne crois plus à la création. Tout a déjà été dit, alors on
répète, en introduisant son propre art dans le propos comme en
contrebande, au passage. Dans son « Apostille au Nom de la Rose »,
Umerto Eco a défini avec une grande finesse nos problèmes d’hommes
post-modernes :
« La réponse post moderne au moderne consiste à
reconnaître que le passé, étant donné qu’il ne peut être détruit parce
que sa destruction conduit au silence doit être revisité : avec ironie,
d’une façon non innocente. Je pense à l’attitude post-moderne comme à
l’attitude de celui qui aimerait une femme très cultivée et qui saurait
qu’il ne peut lui dire : « je t’aime désespérément », parce qu’il sait
qu’elle sait (et elle sait qu’il sait) que ces phrases, Barbara Cartland
les a déjà écrites.
Pourtant, il y a une solution. Il pourra dire : «
comme disait Barbara Cartland, je t’aime désespérément ». Alors en
ayant évité la fausse innocence, en ayant dit clairement que l’on ne
peut parler de façon innocente, celui-ci aura pourtant dit à cette femme
ce qu’il voulait lui dire : qu’il l’aime et qu’il l’aime à une époque
d’innocence perdue. Si la femme joue le jeu, elle aura reçu une
déclaration d’amour. Aucun des deux interlocuteurs ne se sentira
innocent, tous deux auront accepté le défi du passé, du déjà dit que
l'on ne peut éliminer, tous deux joueront consciemment et avec plaisir
au jeu de l'ironie... Mais tous deux auront réussi une fois encore à
parler d’amour. »
La fin de l’innocence n’implique donc pas
celle du sens, dans le propos d’Eco, pas plus que celle de l’art, dans
sa métaphore. Alors quoi ? Quel rapport avec les White Stripes ? C’est
très simple : remplacez Barbara Cartland par Led Zeppelin ou les Rolling
Stones, et vous pouvez adapter ce dialogue à ceux qu’on sans doute eu
Jack et Meg en studio : « J’enregistrerai bien un truc avec de la
mandoline et un faux air celtique, des racines écossaises ou quelque
chose comme ça, mais c’est The Battle of Evermore, alors on va reprendre
les mêmes ingrédients, mais pour en faire un gigue. » Une gigue, parce
que le second degré n’est jamais loin lorsqu’on parle de
post-modernisme. Et le titre sera Prickly Thorn But Sweetly Worn. Avant
ça, on a déjà eu un morceau échappé d’une session des Stones période
Sticky Fingers avec le rock You Don’t Know What Love Is (You Just Do As
You’re Told), à moins que le travail des guitares par Jack n’évoque plus
les Flammin’ Groovies dont il a repris avec obstination un morceau à
chaque concert des Raconteurs.
Mais je vous avais promis de
parler un peu de Tarantino, pour éviter l’enlisement dans la description
des blues et des rock de Icky Thump. Chose promise, chose dute. Cinéma
et musique sont les deux arts populaires du XXIe siècle, après avoir été
ceux du Xxe. En matière de cinéma, si Brian DePalma fut sans doute le
premier post-moderniste obsessionnel (ses filmes n’étant que relectures
infinies des œuvres classiques d’Hitchcock et Wells), c’est Tarantino,
en remportant la Palme d’or en 1994 pour Pulp Fiction, qui a fait entrer
l’art de la citation dans la mode. Chose importante également, il a
remis en valeur les sous-cultures dans le cadre de ces citations : un
Travolta échappé des années 70 disco, le hamburger comme idéal gustatif,
les romans de gare comme référence première (les pulps), le surf-rock
de Dick Dale ou des Ventures, la liste n’en fini pas. Comme DePalma
avant lui, Tarantino est un cinéaste virtuose, dont l’œuvre toute
entière se veut ludique. Un travail extrêmement complexe visant à un
plaisir simple et décomplexé. C’est comme ça que Tarantino est devenu le
fer de lance du cinéma indépendant américain, l’homme qui a lié dans de
mêmes films l’art et essai et le succès commercial, les jeunes
cinéphages et le vieux cinéphiles, et a finalement atteint la place
étrange de cinéaste culte, sans doute le plus important d’Amérique,
avant son quarantième anniversaire. Arrivé à ce stade, quelque chose
devrait tilter : prenez Jack White, virtuose du studio capable sur Catch
Hell Blues de retrouvé au grain près le son de guitare de Jimmy Page à
la grande époque de Physical Graffiti, un son qu’on a pas entendu depuis
trente ans. Formelement, White, comme Tarantino, possède une maîtrise
absolue de son sujet. Intellectuellement, White, comme Tarantino, n’a de
cesse de faire du neuf avec du vieux, comme sur le long 300M.P.H.
Torrential Outpour Blues au sein duquel il multiplie les formes de
blues, entre le plus folk des accords sorti du delta du Mississippi et
la plus saturé des amplifications de Chicago. Et, encore une fois,
White, comme Tarantino, occupe maintenant une place unique dans le
paysage américain, fer de lance de l’écrasante place commerciale qu’a
pris le rock indépendant dans les charts. Ces deux hommes, à quelques
petites années d’écart, on avec une semblable maîtrise du paradigme
post-moderne trouvé le moyen de donner un souffle à leur art capable
d’embraser celui de leurs contemporains, au point que les frontieres
s’effacent. Dix ans après Tarantino, les majors d’Hollywood produisent
du cinéma d’art et d’essai, et les producteurs indépendants représentés à
Sundance caracolent en tête du box office. Dix ans après les White
Stripes, le rock « indie » est devenu une culture et une mode sans que
son indépendance ne soit plus rien qu’une pose affectée.
C’est à cause de tout ça que j’ai précisé en début de chronique que je
n’aimais pas les White Stripes. Les cent idées par chansons nuisent
parfois à l’efficacité et à la clarté du propos, et je préfère le vieux
concept « une idée, une chanson » que suivent les Raconteurs. Ceci ne
m’empêche pourtant pas d’être convaincu qu’on a encore rien vu (en
musique comme en cinéma) capable de nous faire sortir du
post-modernisme. On a bien murmuré « néo-classique » dans certains
magasines à propos d’Eastwood ou Mann, mais le souffle est bien vite
retombé. Et en musique ? La techno fut l’art de la reprise par
excellence, avec le sample, le rap est entré dans cette époque lui
aussi… on attend donc. En attendant, il n’y a sans doute aucun groupe de
rock aussi important que les White Stripes. Et Jack White et Quentin
Tarantino sont les deux artistes les plus importants des USA à ce jour.
Ceci suffit à l’amateur de rock pour s’intéresser aux White Stripes,
tant il serait aussi vain de vouloir comprendre les choses sans les
connaître que de se dire cinéphile sans avoir une idée du travail de
Tarantino.
Pour conclure sur ce sujet qui n’intéresse que
moi, j’ai gardé le meilleur pour la fin. Post-modernisme, donc, age de
la reprise. Il ne s’agit pas seulement de composer comme les Stones, de
reproduire le son de Led Zeppelin, et de pratiquer le blues sans y
croire, la reprise peut également prendre une forme bien plus directe.
Ainsi les White Stripes reprennent Conquest de Patti Page. Vous la
remettez ? L’une des plus grosses vendeuses d’easy-listening dans les
années 50. Une chanteuse à peu près aussi inintéressante que les films
d’exploitations cités par Tarantino dans son Grindhouse. How Much Is
That Doggie In The Window, l’exemple même de l’ininteret musical selon
Lester Bangs, c’est elle. Tremblez rockers, les White Stripes reprennent
ce que la plus part de leurs jeunes fans appelleraient sans sourciller «
de la merde » si seulement ils connaissaient cette musique. Patti Page a
apporté à peu prés autant à la musique que Barbara Cartland à la
littérature. Pourtant, le choix de Conquest se porte sur un texte loin
d’être inintéressant, qui conte un retournement de situation dans
l’habituelle loi carnassière qui régi les rapports entre les sexes. Jack
White peut donc donner une lecture féministe de cette chanson lorsqu’il
chante « the hunted became the huntress / the hunter became the prey ».
Plus important encore, les arrangements faits de trompettes
majestueusement kitches et d’une rythmiques assourdissantes forment un
parfait wall of sound spectorien qui n’en fini plus de tresser le fil
rouge post-moderne de l’album, ajoutant une nouvelle évocation sonore à
un tableau déjà chargé. Mais la surcharge n’est pas un risque en la
matière, c’est au contraire elle qui permet de créer un propos original
et personnel qui ne soit celui d’aucun des éléments cités.
Est il bien nécessaire d’aller plus loin ? L’intérêt du propos d’Icky
Thump et l’importance du groupe devraient suffire à ne pas passer cet
album sous silence. Reste que j’ai affirmé qu’il constituait la
meilleure production du duo, et je vais rapidement en résumer les
raisons. Les White Stripes se sont fait une spécialité des titres longs,
à tiroirs, multipliant les idées, les riffs, en utilisant pour cela la
possibilité rythmique d’une batterie seule pour créer les breaks et
autres variations rythmiques nécessaires à la liaison d’éléments
hétérogènes. Leurs chansons sont tout sauf linéaires. Jusqu’ici, le
sommet en la matière était Elephant, avec ses gras riff rock déclinés
sous de nombreuses formes (on ne citera que le renouvellement du son de
guitare sur le simple Seven Nation Army que tout le monde connaît). Avec
Icky Thump, ce travail fait enfin des rebondissements et ruptures les
arguments des morceaux. Plutôt que collage d’idées, l’album fait du
collage lui même sa grande idée. C’est 300M.P.H. Torrential Outpour
Blues avec ses pistes de guitares toutes différentes, seule la batterie
restant égale à elle même, mais c’est aussi un élément important à
l’échelle de l’album. Sans varier les sons d’un morceau à l’autre avec
l’entêtement de Get Behind Me Satan, les White Stripes conservent une
esthétique d’ensemble, la teinte blues et folk qui colore leurs rocks. A
ce titre, si les deux genres se confondent dans le léger refrain de
l’acoustique Effect And Cause final, le centre de l’album constitue
l’œil d’un cyclone d’électricité, de basses et d’aigus saturés, avec
deux titres folk dont les arrangements bénéficient de l’apport d’une
cornemuse pour des airs dansants et apaisants. Une petite thalasso en
Ecosse avant de reprendre la route du rock. Côté blues, on retrouve la
vieille musique sous toutes ses formes, noires ou blanches, du delta au
blues-boom. Un talkin’ blues dans Rag And Bone, faisant dialoguer Jack
et Meg, des variations du rock classique jusqu’au hard en passant par
l’habituel son garage toujours sous perfusion de musique bleu, ainsi
bien sur que les deux titres comportant le mot lui même.
Comme un grand album doit le faire, Icky Thump trouve la diversité sans
abandonner le giron d’un propos unique. Sa course suit une logique
propre, ouverte par le morceau titre, sa description du Mexique étant
l’occasion de travaux sonores extraterrestres visant à tirer des
guitares et claviers des distorsions étranges. Le travail de Jack White
sur ce titre, comme Broken Bone avec sa voix saturée et distordue et son
solo informe, est reconnaissable entre mille. Quiconque se plaint du
caractère interchangeable de nombreux musiciens de nos jours devrait
trouver dans les recherches esthétique de cet homme une personnalité
inimitable. A tel point que son exercice de style zeppelinien sur Catch
Hell Blues, loin de constituer un petit clin d’œil, est sans doute le
morceau le plus passionnant d’un album qu’on écouté déjà le souffle
court. L’ardeur de l’auditeur est d’ailleurs d’autant mieux alimentée
que cette fin d’album aligne une série de rocks plus simples, plus
stoniens que les White Stripes n’en ont jamais composés, mais aussi
leurs meilleurs. Quelque part entre leurs habituelles déstructurations
rythmiques toujours présentes dans la première partie d’Icky Thump et
les pop-songs linéaires des Raconteurs, I’m Slowly Turning Into You et A
Martyr For My Love For You donnent enfin à entendre Jack White comme
pur song-writter rock. Il est aussi talentueux dans ce travail essentiel
que dans ses facettes de touche à tout sonore ou d’historien des formes
musicales, et ça n’a pourtant pas toujours été le cas. Ainsi,
l’héritier revendiqué des Stooges qui se retrouve en 2007 leur
concurrent dans les bacs fait mieux que ses idoles, et on se prend à
rêver de la rencontre qu’à longtemps laissé espérer la rumeur d’un Jack
White producteur pour la bande d’Iggy Pop. Toute la matière de cette
album est celle du rock des 60’s et 70’s, faisant l’impasse sur tout ce
qui a pu avoir lieu depuis… à l’exception des avancées technologiques
permettant de retrouver tous ces sons oubliés, puisque Icky Thump fut
enregistré dans un studio numérique, et non pas sur les vieilles
machines analogiques habituellement dévolues à de tels exercices
formels. Formellement passionnant, cet album a avant tout pour qualité
d’utiliser un matériaux ancien sans se montrer passéiste. Au rythme de
la batterie de Meg White, chaloupant au son des power-chord de son
ex-mari, l’histoire du rock est toujours en marche, et il continu de se
relever après chaque faux pas, alors que d’aucuns le croient mort et
enterré. Idée pour le titre d’un prochain album : Night of the
living-rock !
Je l'ai relue, là c'est moi qui
. J'étais vraiment lassé des chroniques "normale" quand j'ai commencé à écrire des trucs comme ça. Et p'tet pas très sobre non plus. M'enfin, j'aime bien ce que j'ai écris, et je reste fidèle à mes avis et opinions.
Pour mémoire, ta réponse à l'époque :
- John the revelator a écrit:
J'ai du mal à considérer Icky Thump
comme le meilleur album des White Stripes. À sa sortie, j'étais heureux
de voir Jack laisser de côté marimba et piano pour retrouver la veine
bleue de sa guitare (rouge). Ses expérimentations sonores (permises par
une certaine maîtrise musicale) et sa volonté de travailler sur
l'origine de ses propres influences en font effectivement un artiste
capable de transcender certains genres (blues, rock zeppelinien,
folk...) sans pour autant en perdre l'esprit initial. Mais, je suis
incapable de "couper" Icky Thump du reste de la discographie! Je vois
chaque nouvel album des White Stripes de façon "double": seul comme une
oeuvre ponctuelle dans un espace-temps musical donné où l'album se
suffit à lui-même et l'analyse de celui-ci se veut "interne", et au
regard de tous les autres albums déjà produits comme une pièce
supplémentaire d'un puzzle qui se réinvente sans cesse. Je dois être une
buse mais je ne peux m'empêcher de regarder "le chemin parcouru" par
les White Stripes pour aimer cet album, et peut-être préferer les 1ers
albums.
Il faudrait que je me replonge dans mes CDs (en me
rappelant le contexte et l'histoire de chaque album) pour avoir un avis
plus facile à débattre, et prétendre que "tel album est l'album ultime
des White Stripes". Je rentre en France dans 8 jours, on peut se faire
un débat autout d'une bière?
Après ça, le sujet partait en sucette avec discussion sur le freakbeat polonais et invention du Paris Picole Club.