Hippie et dandy, auteur-compositeur de chansons si séduisantes qu'elles auraient dû s'envoler jusqu'au sommet des tops du monde entier et dangereux subversif, le musicien britannique Kevin Ayers est mort lundi 18 février à son domicile de Montolieu, dans l'Aude, à 68 ans. Ayers avait participé à l'explosion psychédélique britannique en tant que fondateur du groupe Soft Machine avant de s'embarquer dans une carrière solo qui lui valut l'adoration de quelques-unes et l'estime de beaucoup. Ce n'était pas assez pour devenir une superstar ou un notable du rock, mais suffisant pour en marquer l'histoire. Mercredi sur Twitter, le musicien Luke Haines (The Auteurs) lui rendait hommage pendant que Jamie Reynolds, des Klaxons, rappelait que le groupe avait composé le titre Wildeflowers pour lui.
Cette chanson emprunte son nom au premier groupe de Kevin Ayers, formé au milieu des années 1960, à Canterbury. Le musicien est né le 16 août 1944 à Herne Bay, dans le Kent. Il passe une bonne partie de son enfance en Malaisie, alors colonie britannique. Sa famille s'installe ensuite à Canterbury où il forme les Wilde Flowers avec d'autres étudiants de bonne famille, dont Robert Wyatt et Hugh Hopper, futurs membres de Soft Machine.
Kevin Ayers a expliqué que le trait particulier de cette " école de Canterbury " tenait à l'origine sociale de ses musiciens. Alors que la majorité était issue de la petite bourgeoisie, ceux de la ville avaient tous renoncé à de prestigieuses carrières pour jouer du rock. Ayers aimait à se moquer de son accent distingué qui l'avait empêché, disait-il, de devenir une vraie rock star.
A Ibiza, dans les Baléares, Kevin Ayers fait la connaissance de l'un des premiers hippies vus en Europe, l'Australien Daevid Allen, qui l'initie à la poésie de la Beat Generation. A leur retour en Grande-Bretagne, les deux hommes transforment les Wilde Flowers en Soft Machine, un nom emprunté à la poésie de William S. Burroughs - avec l'autorisation de l'auteur. Allen quitte bientôt le groupe pour fonder Gong, et Soft Machine joue avec Pink Floyd et tourne aux Etats-Unis en première partie du Jimi Hendrix Experience. Le premier album du groupe, en 1968, porte la marque de Kevin Ayers, qui se réclame du Collège de pataphysique, a composé une bonne part des titres mélancoliques, empreints d'un fort sens de l'absurde, dans les arrangements et les textes.
Carrière solo
Mais la vie en tournée ne convient guère à cet hédoniste qui part s'installer à Ibiza, d'où il entame une carrière solo sur le label Harvest, celui de Pink Floyd. Son premier disque Joy of a Toy (1969) est marqué par la présence de ses camarades de Soft Machine et par un mélange d'accessibilité et de fantaisie dont il s'emploie à raffiner le dosage. Shooting at the Moon, Bananamour, Whatevershebringswesing sont des albums qui encore aujourd'hui frappent par leur élégance et leur décontraction, reflets assez exacts de la personnalité d'Ayers, séducteur mais intransigeant.
Au fil de ces enregistrements et des tournées qui les suivent, Kevin Ayers collabore aussi bien avec l'avant-garde britannique (le saxophoniste Lol Coxhill) qu'avec l'une des futures stars du rock pompier (c'est sur ses disques que Mike Oldfield fait ses premiers pas). Lorsque le rock décadent pointe son nez, Ayers enregistre avec Eno qui fait encore partie de Roxy Music. C'est logique pour un musicien qui a composé en 1973 Decadence, portrait musical de la chanteuse Nico, du Velvet Underground.
C'est à ce moment que l'étoile de Kevin Ayers commence à pâlir. Que l'intérêt décroissant des albums qu'il publie de 1975 à 1988 soit dû à son addiction à l'héroïne ou à la paresse qu'il a toujours revendiquée, il en tire la conclusion et disparaît de la scène musicale pendant presque vingt ans (à l'exception d'une réapparition ratée, sur les scènes françaises qui lui ont toujours été fastes, en 1992). La parution de The Unfairground en 2007 vient rappeler son talent et donne l'espoir de voir Kevin Ayers reprendre sa place. Mais ce beau disque reste sans autre lendemain que la disparition de cette figure attachante.
Thomas Sotinel
16 août 1944
Naissance à Herne Bay, dans le Kent (Royaume-Uni)
2007
" The Unfairground ",
son dernier album
18 février
Mort à Montolieu (Aude)
© Le Monde