| ROCK'N'FOLK - N° 43 - août 1970 Third - Soft Machine Melmoth (aka Dashiell Hedayat) | |
Le bruit. Là, depuis toujours. À votre oreille.
Pourtant vous ne l’avez jamais écouté. Les fredonnements
incertaines – hésités, cassés puis repris
– la voix blanche : débris de refrains, coq à
l’âne de comptines à moitié oubliées,
lania lanières à tue-tête ou chuchotées,
« pour rien » dites-vous, sinon à éclairer
le noir des couloirs, à rameuter les rêves et avec
les sommeil. Écoutez les rêves, passez de l’autre
côté du miroir. De là votre regard étonné
va découvrir l’impensable beauté : le bruit et
la musique sont une seule et même chose, votre chant-bas est
aussi bien un « beau » chant (bel canto). Dada l’avait
dit, lorsqu’il était là (au second disque) mais
en parler c’était encore faire confiance aux mots –
donc d’une certaine façon à la Kultur. Seule
la musique par sa propre convulsion (belle) pouvait nous livrer
le secret de son origine : qu’elle ne que bruit. « Facelift
» non pas ascension de la musique vers la lumière,
mais convulsion du bruit « devenu » musique. «
Devenu » par la magie dérisoire d’un mot. Où
finit le bruit, où commence la musique ? Où le jour,
où la nuit ? Wyatt sous les lueurs blafardes de juin «
Moon in june » en muezzin. La voix blanche a hésité
d’une psalmodie déchirée sur une question aussi
dérisoire. À la faveur de la nuit nous libérons
cette envie de chante que la Musique (celle qui s’écrit
avec un grand M) nous interdit. À la faveur des rêves
(tout le monde chante comme Wyatt, la beauté est partout,
en vous, par vous, et qu’importe la lumière et l’ombre,
le beau et le laid). Subversion de/par la musique. Depuis toujours
que vous chantez ; ce n’était pas pour « rien
». Depuis toujours qu’il y a du bruit. Mais le voyant
(celui qui vous a donné à voir) se damne par son projet
même ; là fît sa souffrance : (contradiction
insurmontable) que SA musique recule les limites de LA musique.
À peine (depuis) toujours, « Slightly all the time
» Ascension vers la lumière. Zarathoustra nous a dit
que là est une façon de bonheur et l’Orient est
une libération par la répétitif. À peine
toujours. Les enfants prennent plaisir à se regarder pleurer
à un miroir – oublié pourquoi ils pleuraient.
Le malaise cependant persiste – sans doute la présence
signalée par le texte intérieur de « Noisette
», fruit ou couleur mais plus sûrement petit bruit.
Inaudible. Là, pourtant. Sans doute pour casser le dernier
accord ; le changer en ce hurlement grotesque par quoi tout le calme
de cette plage bascule soudain vers le cauchemar, la colère
blanche « Out-bloody rageous » d’être impuissant
à dépasser l’indépassable contradiction,
à transformer le monde – « bruit » - en
un monde sa composition – à changer la vie. Retour obsédant
du bruit sur lequel les musiciens qui se sont crus un instant des
Dieux doivent à nouveau PLAQUER (coller) leur musique. Avec
ses distinctions imbéciles, ses garde-FOUS, la Kultur reprend
ses droits. La musique – blanche de colère – n’a
plus qu’à s’autodétruire dans l’espoir
(« Hope for Hapiness ») qu’un jour l’art aura
le goût de la vie. C’est-à-dire que seule la vie
sera pensable.
« Le plaisir limité de se détruire risque fort
de détruire en fin de compte le pouvoir qui le limite ».
R. Vaneigem… Constat d’échec – réussite
de cette musique. Schoenberg (une autre série est possible),
Webern (toute série est possible), Cage (tout son), Coltrane
(toute musique est vous – solo – votre voix), les Beatles
(tout flonflon est beau), Sun Ra (la musique est ascension vers
la lumière)… third, cette ascension même. Flash,
c’est-à-dire image-idée-convulsion. Date dans
l’histoire de la musique, si date avait encore un sens.
Je laisse aux flics de Melody Maker le soin de vous expliquer que
Wyatt n’a pas une belle voix (parce que « blanche »
- ? – sans doute) et à quelques autres les influences
de Coltrane sur le jeu de Dean (plus utile eût été
de nous montrer à quel point le jeu de Dean est plus précis,
plus « mescalin » que celui de Coltrane – chaleur
élastique qui étreint), de Terry Riley sur le traitement
des sons par Hopper (or chez Riley la question de la situation du
musicien par rapport au matériau sonore est pose différemment).
Et encore quelques sujets de dissertation pour vous : le soft machine
et Dada, – l’Orient –, Brech-Weill (Alabama-Song
in Moon in June), Sly & Family Stone, - Platon (conscient inconscient
chez Ratledge), - l’Acide (in friends : « notre musique
est à l’attention des défoncés »)…
commentez et discutez. Je hais les critiques et leur prétention
à montrer quand ils dissimulent. Ils n’écouteront
pas Third. Sur leurs tombes nous écrirons : « Morts
de beauté violente ». En avant le SOFT POWER : - MELMOTH.