Avec tout ça vous m'avez donné envie de m'écouter un des chef d'œuvre du genre, pour ces dernières années...
Le nouveau Brian Setzer possède un titre à
rallonge comme on en fait peu. « Rockabilly Riot Volume 1 : A Tribute
To Sun Records », ça fait beaucoup de mots, et qui plus est ils ont
tous un sens. Entre rock et hillbilly, le rockabilly est une musique
blanche inspirée des premières mesures de rock imprimées par des blacks
comme Fats Domino ou Ike Turner avec son Rocket 88. Confondu avec les
débuts du rock, le rockabilly a pris son envol lorsqu’Elvis a chanté
That’s Alright et commencé à vendre du rock ‘n roll comme des petits
pains. Pourquoi « Riot » ensuite ? Parce qu’il faut que le cours
d’histoire du professeur Setzer soit comme une émeute, un grand coup de
gueule, pour marquer ses élèves. Le « volume 1 » tendrait à annoncer le
début de quelque chose, une petite mode du retour aux sources peut-être
? Reste la dernière sentence, la plus importante : l’album rend hommage
à Sun Records, le studio de Sam Philips où tout a commencé, Rocket 88,
That’s Alright, le rock c’est lui qui l’a fait.
Pour faire revivre le rockabilly, Brian Setzer réinvente les codes du
genre pour interpréter une sélection de 23 classiques oubliés,
enregistrés par Sam Philips au cœur des 50’s. En choisissant ce
répertoire précisément, il choisit également l’un des sons les plus
reconnaissables de ces 50 dernières années. Plus que le concept de
l’album, c’est le travail en studio qui compte : suivant les méthodes
estampillées Sun Records, l’enregistrement est quasiment live, en très
peu de prises, utilise le matériel d’époque, et surtout le léger écho
très particulier produit directement sur les bandes (et pour éviter les
machines et l’électronique, la batterie sera même enregistrée dans un
vieux silo lui donnant une résonance unique le temps d’un morceau). En
artisan de talent, Brian Setzer retrouve un à un tous les éléments qui
font la personnalité des vieux classiques qu’il reprend, et les
restitue avec fidélité sur son album. Mais son travail ne s’arrête pas
à l’imitation, il va bien plus loin en imprimant sur les bandes toute
la modernité dont il est le dépositaire.
Depuis 25 ans qu’on le connaît, Brian Setzer a beaucoup fait pour le
rock. Ses Stray Cats ont connu le succès dans le sillage du punk en
ressuscitant les années 50 dans de nouveaux tubes à l’ancienne, la rage
en plus. Avec le Brian Setzer Orchestra il avait continué à creuser ce
même genre sur le thème du big band, et son retour au trio pour un
album médiocre en 2003 sentait fort le revival de la première décennie
du rock. Ici la formation est un quatuor, ajoutant un piano ou une
guitare acoustique pour respecter les arrangements originaux des
morceaux. Si des méthodes millésimées sont appliquées, le résultat n’en
est pas moins estampillé 2005 : le son bénéficie d’un mixage qu’on
aurait pas même osé rêver en 54, et toutes les sonorités propres à Sun
Records en ressortent nettoyées de la poussière des années. En outre,
seul Blue Suede Shoes est connu de tous. Parmi les autres morceaux
choisis les amateurs reconnaîtront peut être une chanson de Jerry Lee
Lewis ou de Johnny Cash, mais la grande majorité est aujourd’hui
inconnue. La question de la reprise est donc posée en des termes bien
particuliers. On reconnaît le son mais tout semble nouveau.
Etonnement, Brian Setzer qui réduit lui même volontairement sa marge de
manœuvre semble plus original sur cet album qu’Alvin Lee ne l’était en
enregistrant un disque de rock ‘n roll archétypal un an plus tôt (album
excellent par ailleurs). Point commun des deux, le retour aux sources
(le groupe de Setzer s’appelle les Nashvilains, Alvin Lee enregistrait
« In Tennessee »), différence notable, l’effacement de l’un qui
contraste avec la domination de l’autre sur sa musique. Si Alvin Lee
multipliait les solo et allongeait ses titres par de multiples
démonstrations de sa virtuosité, Brian Setzer ne joue que les solo
originaux et se cantonne aux règles que respectaient ses maîtres.
Qu’importe que la durée ait été imposée par les contraintes techniques
de l’époque, elle fait aujourd’hui partie des canons du genre.
Résultat, on a bien l’impression d’entendre un chanteur de l’époque,
choisissant ses chansons dans le répertoire commun comme tout le monde
le faisait (Elvis chantant le Blue Suede Shoes de Carl Perkins, Jerry
Lee Lewis reprenant Jailhouse Rock, etc…). La reprise ? Un autre
élément qui fait le rockabilly, certainement pas la particularité d’un
album hommage !
On en vient donc à juger de Brian Setzer comme un interprète de rock ‘n
roll parmi d’autres, comme on jugerait n’importe quel poulain de Sun
Records. En arrivant à cela, il a réussi sa grande illusion, se fondre
dans un moule qu’on pensait cassé. Première qualité de l’interprète :
le swing de sa musique. Brian Setzer est un grand guitariste, l’un des
rares à ne pas se perdre dans l’admiration de la star de Chess Records,
Chuck Berry. Efficace dans ses soli, c’est surtout par sa science du
tempo qu’il impressionne, assurant le phrasé vif des rock ou les
accords plus souples des ballades avec le même entrain. Derrière lui,
une bonne rythmique, et souvent un piano des plus efficace. Plus
discret que l’excentrique Killer, mais indubitablement inspiré de son
jeu, boogie endiablé de la main gauche, notes aiguës à droite.
Et puis ne le cachons pas, si il joue chez Sun, Brian Setzer n’en
oublie pas l’influence de sa vie qu’est Eddie Cochran, sa guitare, sa
voix. Car l’interprète de rock c’est avant tout le chanteur, quel que
soit l’instrument qu’il pratique, et Brian Setzer en a les tripes. A 45
ans, il confirme que sa voix est plus belle que jamais. On l’avait
remarquée plus chaude qu’à ses débuts lors du come-back des Stray Cats
en 2004, elle est également plus chargée, étendant son registre bien
plus qu’avant. Capable de hurler dans le micro, de retrouver le vibrato
de Jerry Lee Lewis, de roucouler comme Elvis, il offre une galerie de
performances vocales étendues à tous les registres de son timbre. Les
cordes vocales ont la même personnalité et le même swing que les cordes
de la guitare, c’est indéniable et ça fait de Brian Setzer un grand
rockeur, l’égale des légendes des années 50, avec ce qu’il faut de
modernité dans son style pour être à sa place au XXIe siècle.